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69. A VOLTAIRE.

Remusberg, 22 novembre 1738.a

Mon cher ami, il faut avouer que vous êtes un débiteur admirable; vous ne restez point en arrière dans vos payements, et l'on gagne considérablement au change. Je vous ai une obligation infinie de l'Épître sur le Plaisir; ce système de théologie me paraît très-conforme à la Divinité,b et s'accorde parfaitement avec ma manière de penser. Que ne vous dois-je point pour cet ouvrage incomparable!

Les dieux que nous chantait Homère
Étaient forts, robustes, puissants;
Celui que l'on nous prêche en chaire
Est l'original des tyrans;
Mais le Plaisir, dieu de Voltaire,
Est le vrai dieu, le tendre père
De tous les esprits bienfaisants.

On ne peut mieux connaître la différence des génies qu'en examinant la manière dont des personnes différentes expriment les mêmes pensées. La comtesse de Platen, dont vous devez avoir entendu parler en Angleterre, pour dire un eunuque, le périphrasait un homme brillante. L'idée était prise d'une pierre fine qu'on taille et qu'on brillante. Cette manière de s'exprimer portait bien en soi le caractère de femme, je veux dire de cet esprit inviolablement attaché aux ajustements et aux bagatelles. L'homme de génie, le grand poëte se manifeste bien différemment par cette noble et belle périphrase :

Que le fer a privés des sources de la vie.c


a Le 1er décembre 1738. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 30.)

b Très-digne de la Divinité. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 25.)

c Cinquième Discours sur l'Homme. Œuvres de Voltaire, t. XII, p. 84.