<443> opiniâtrez à soutenir l'honneur de vos maladies. Pour moi, je ne m'y oppose pas; je sais que chacun a son goût, et qu'on peut avoir celui d'être malade, comme un autre. Mais, indépendamment de cette persuasion, il n'est pas moins sûr que la gourmandise et la santé ne s'accordent pas ensemble, et qu'il est arrivé à plus d'un philosophe d'accuser son estomac des indigestions qu'il lui avait causées. Le beau soleil de Provence, les oranges, les fruits, la satisfaction de vous retrouver au sein de votre famille et d'avoir terminé vos procès, vous guériront. N'accumulez pas inutilement les années sur votre tête, mon cher; c'est peine perdue, car un Provençal, eût-il atteint l'âge du vieux Nestor, ne serait pas pour cela à l'abri des soupçons d'étourderie. Ce n'est pas que je vous en accuse, mais le public, rempli de préventions, n'est pas toujours juste dans les arrêts qu'il prononce. Je vous recommande, mon cher, la crainte de Pierre-Encise, des îles d'Hyères et du Pont-couvert de Strasbourg.a Ayez-les toujours devant les yeux, tant que durera votre séjour en France. Gardez-vous de vous mettre au nombre des écraseurs de ...b Laissez aller les choses comme elles vont, et dites toujours du bien de M. le prieur; c'est l'unique moyen de repasser la frontière avec sûreté. Je vous recommande au dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, qui a tiré vos ancêtres de la captivité d'Égypte; sans doute il guidera vos pas. La synagogue l'implore tous les samedis en votre faveur, en faisant des vœux que le cher Isaacc revienne sain et sauf de son pèlerinage.

D'Alembert a cru que vous passeriez par Paris, et on l'a détrompé. Les gazetiers ont donné le réveillon aux politiques; ils ont annoncé au public que vous alliez à Versailles, chargé d'une négociation importante. Les ministres d'Autriche ont aussitôt mis leur argent en


a Trois prisons d'État, fameuses alors. Pierre-Encise est un des forts de Lyon.

b Voyez ci-dessus, p. 72 et 80.

c Les mots cher Isaac désignent le marquis, auteur des Lettres juives, dans lesquelles Isaac Onis, rabbin de Constantinople, joue un des principaux rôles. Voyez t. XIII, p. 55, et ci-dessus, p. 20.