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254. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 14 juillet 1762.



Sire,

Une fluxion sur un œil, qui a été assez forte, ne m'a pas permis d'écrire plus tôt à V. M. Elle vient d'exécuter, sans perdre un seul homme, par les plus belles manœuvres qu'elle a faites, ce qui paraissait ne pouvoir avoir lieu qu'après une ou deux batailles. Vous voilà donc maître de toutes les montagnes de la Silésie et des passages dans la Bohême. Je souhaiterais y voir toute votre armée rendre aux Autrichiens le mal qu'ils nous ont fait, et forcer enfin ces hommes insensés à finir une guerre qui fait depuis sept ans le malheur de l'Europe, et que le seul orgueil autrichien et la folie française entretiennent et fomentent avec tant de fureur.

On dit ici comme une chose sûre que l'empereur de Russie vient de prendre le commandement de son armée. Si mes désirs étaient accomplis par la Providence, ce bon et digne prince ne serait venu en Allemagne qu'à la paix générale. Tout le bonheur et toute la tranquillité de l'Europe résident sur sa personne, etc.; V. M. sent tout ce que contient cet etc.

J'ai vu ici le ministre russe,a qui vient d'arriver; c'est, à ce qu'il me paraît, un homme très-sage, très-attaché à son maître, et entièrement dépouillé du ridicule mystérieux de la plus grande partie des politiques et de bien des ministres. Je suis convaincu que V. M. sera contente de celui-ci, s'il a jamais l'honneur de la voir.

Quand aurons-nous donc, Sire, le plaisir et le bonheur de vous voir ici? Jamais le Messie ne fut attendu avec plus d'impatience, et jamais son arrivée ne fut aussi nécessaire aux juifs que la vôtre ne peut l'être. Mais je sens, ainsi que tous les gens raisonnables, qu'il


a Le prince Repnin.