<360>

245. AU MARQUIS D'ARGENS.

Bettlern, 20 mai 1762.

Je me félicite, mon cher marquis, de ce que Sans-Souci peut vous servir de demeure agréable pendant les beaux jours du printemps, et, s'il ne dépendait que de moi, tous les événements se seraient déjà arrangés de façon que je pourrais vous y joindre. Cependant il faut encore ajouter la campagne qui va s'ouvrir aux six précédentes : soit que le nombre de sept, qui passe pour mystique chez les péripatéticiens et les moines, doive être rempli, ou qu'il soit dit de toute éternité dans le livre des destinées que nous n'aurons la paix qu'après sept campagnes, il faut que nous en passions par là. Mon frère a bien débuté en Saxe;a mais je ne sais quels contes on fait sur notre chapitre. Nous cantonnons encore; il n'y a que quelques partis de hussards en campagne, et ni Daun, ni Beck, ni tous les autres Autrichiens ne sont attaquables jusqu'à présent. Notre campagne ne peut commencer, au plus tôt, qu'au 20 juin; jusqu'à ce temps, ne vous attendez pas de notre part à des coups d'éclat.

J'ai déjà pensé aux moines de Silésie; dès que j'ai appris qu'on les chassait de France, j'ai fait mon petit projet en conséquence, et j'attends à avoir nettoyé le pays d'Autrichiens pour pouvoir y faire ce qui me plaît. Vous comprenez donc, mon cher marquis, qu'il faut attendre que la poire soit mûre pour la cueillir. Quelle différence de revoir Sans-Souci à présent, après y avoir demeuré avant la guerre, de comparer l'état de prospérité où nous étions alors avec notre misère présente, la bonne société qui s'y rassemblait avec la solitude ou la mauvaise compagnie qui nous reste! Tout cela, mon cher marquis, m'afflige, et me rend triste et rêveur.

Je suis fort de votre sentiment au sujet de d'Alembert; il vaut


a Voyez t. V, p. 193-197.