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223. AU MARQUIS D'ARGENS.

Breslau, 6 mars 1762.

La joie des habitants de Berlin, que vous me décrivez, mon cher marquis, s'est communiquée à mon âme, et j'ai senti un avant-goût de la sensation que j'éprouverai quand la paix générale sera faite. Nos nouvelles de Pétersbourg sont telles que nous les pouvons souhaiter; il se pourrait même, au moment présent, que la paix y fût signée. Je n'ai pas encore toutes les nouvelles d'un certain lieu; mais je sais que les troupes marchent, et qu'on a une grande peur à Vienne. J'ai tout lieu d'espérer que je réussirai. Dès que j'en serai plus sûr, je vous communiquerai la satisfaction que ce bon événement me causera. Enfin, mon cher marquis, les nuages orageux se dissipent, et nous pouvons espérer de revoir un beau jour serein, brillant des rayons éclatants du soleil. Je vous envoie un conte que j'ai fait;a j'étais plein, en le composant, de la lecture de Bossuet et de ses impertinentes Variations,b où toutes les rêveries mystiques de l'école sont expliquées. Fâché contre ces absurdités, je fis une fable pour me venger de ceux qui passent leur vie à débiter ces sottises. La grotte obscure de l'Orient est le sujet de l'allégorie, et le tout est assez clair pour n'avoir pas besoin de commentaire. Réjouissez-vous, mon cher marquis, et soyez tranquille et bien portant. Le courage me revient avec l'espérance, et j'espère encore, avant de mourir, de vous revoir à Sans-Souci, où nous philosopherons tranquillement et sans être in periculo mortis. Adieu, mon cher; Dieu vous bénisse!


a Le Roi veut parler de l'Allégorie, t. XII, p. 246-249.

b Bossuet, Histoire des variations des Églises protestantes. Paris, 1688, deux volumes in-4. Voyez t. XII, p. 246.