37. A LA MÊME.

Leipzig, 27 décembre 1762.



Madame ma cousine,

Je suis pénétré, ma divine duchesse, de vos procédés nobles et généreux. Je vous rends mille grâces de la minute que vous daignez me communiquer. Qu'elle fasse l'effet que nous espérons, ou qu'elle soit inutile, je n'en sens pas moins le prix de votre amitié officieuse et de vos louables intentions, et je bénis le ciel, qui, en suscitant d'un côté des ennemis pour me persécuter, me fait trouver d'un autre de ces âmes toutes célestes dont l'amitié généreuse et toutes les vertus devraient servir éternellement de modèles et d'exemples au monde. Si la conduite d'un Bute m'inspire des sentiments d'aversion pour le genre humain, vos vertus, mon adorable duchesse, me réconcilient<240> avec une espèce qui vous a pu produire. Mais pourquoi tous les hommes n'ont-ils pas le cœur et les sentiments de la duchesse de Gotha? Je reconnaîtrais à ces traits l'image du Créateur, qui les a voulu faire semblables à lui-même; la société en serait plus charmante, l'amitié pure en ferait l'essence, et des services réciproques en resserreraient les liens. Je m'abandonne à ces douces rêveries. Malheureusement vous serez, mon adorable duchesse, plus admirée que vous ne ferez d'imitateurs. Pour moi, je compterai pour un des plus grands bonheurs de ma vie d'avoir vécu dans le siècle qui vous a portée, surtout d'avoir possédé votre précieuse amitié et d'en avoir reçu des marques si manifestes. Que ne puis-je, madame, vous témoigner toute l'étendue de ma reconnaissance! Elle ne finira qu'avec ma vie. Jusqu'ici, inutile et à charge à tous mes amis, je ne me suis pas trouvé dans l'occasion de leur témoigner mes sentiments par des effets. Cependant je vous prie, madame, de compter sur moi comme sur votre chevalier qui s'est dévoué à votre service, et comme sur un cœur pénétré de reconnaissance qui vous est à jamais redevable de tout le bien que vous avez voulu lui faire. Ce n'est que votre modestie qui m'empêche de vous dire tout ce que je pense sur votre sujet. J'en ai l'esprit si plein, qu'il m'arrivera assurément, quand on me parlera de guerre, de politique ou de finance, au lieu de répondre sur ce sujet, de me répandre sur les louanges de cette duchesse qui doit occuper la première place dans la mémoire de tout être pensant, pour peu qu'il aime la vertu. Vous m'avez rendu votre enthousiaste, madame, et je trouve tant de douceur à m'abandonner à cette impression, que je ne fais aucun effort pour en arrêter les progrès. Mais il ne faut point ennuyer ceux qui se sont acquis tant de droits à notre estime. Je vous épargne donc, madame, tout ce que je ne puis m'empêcher à divulguer aux autres; je vous épargne tous les vœux que je fais pour vous au sujet de la nouvelle année, non que je les supprime, mais parce que des vœux ne vous servent de rien, et que je voudrais<241> vous prouver mes sentiments par des effets. Ce ne sont point des compliments, mais c'est au pied de la lettre que je suis avec la plus sincère amitié et la plus haute estime,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.