<259> qu'il a voulu. Cet ouvrage, tel que je l'ai fait, ne méritait point de paraître au grand jour; quelques vers de société en faisaient la partie principale, et des choses qui sont bonnes entre amis et dans le moment qu'elles sont faites perdent tout lorsqu'on ignore les allusions et les à-propos. Je n'ai point voulu m'afficher, je n'ai point voulu être auteur; mais, lorsque les puissances de l'Europe conjurèrent pour me dépouiller de mes États, quelques colporteurs de scribes complotèrent pour piller mon portefeuille. Tout le monde a cru que, pour être du bel air, il fallait me faire le mal dont il était capable. Je suis obligé de le souffrir; je fais mieux, je le pardonne.

La feuille périodique que vous daignez m'envoyer est bien écrite; j'en connais l'auteur par réputation; il est natif de Gera, il a fait le Petit prophète.a C'est un garçon d'esprit qui s'est beaucoup formé à Paris. Cependant je vous demande en grâce que, s'il veut m'envoyer ses feuilles, il daigne un peu m'épargner. Un homme sans expérience peut trouver du sublime où il n'y en a point; un philosophe n'y trouve qu'une compilation de causes secondes qui, par la bizarrerie de différentes combinaisons, produisent des événements dont le vulgaire s'étonne, et qui en effet sont simples et naturels. Après trente ans de guerre que nos aïeux soutinrent, arriva la paix de Westphalie. Avec les prodigieuses armées que l'on a de nos jours, aucune puissance ne peut fournir au delà de sept à huit campagnes. Il n'y a donc pas à s'étonner que la reine de Hongrie, abandonnée par la Russie, la Suède et la France, menacée par le Turc, sur le point de perdre les cercles, et manquant des fonds nécessaires pour poursuivre le cours de ses animosités, ait enfin consenti à la paix que nous venons de signer. Le miracle aurait été de soutenir la guerre sans argent et sans alliés. Je ne m'étonne point, ma chère duchesse, des mauvais procédés de la cour de Vienne, dont vous vous plaignez; c'est le murmure et le bruit sourd des vagues qui se brisent contre


a Voyez ci-dessus, p. 100. Selon d'autres, le baron de Grimm était né à Ratisbonne.