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X. LETTRES DE FRÉDÉRIC AU FELD-MARÉCHAL DE KALCKSTEIN. (JUIN 1747 ET 21 JUIN 1758.)[Titelblatt]

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1. AU FELD-MARÉCHAL DE KALCKSTEIN.

(1747.)

Je suis trop de vos amis pour ne pas prendre part au malheur imprévu qui vient de vous arriver.391-a Je vous prie de prendre votre parti et de vaincre vos premiers mouvements de douleur par la force de la raison. J'ai pris des mesures pour favoriser la fuite du coupable. C'est une étourderie inexcusable que de se jouer légèrement et par mégarde de la vie des hommes; mais il faut avouer qu'il n'y a aucune méchanceté ni noirceur dans le cas de votre fils. Souffrez que la morale que vous m'avez prêchée si souvent autrefois réfléchisse à présent sur vous, et gagnez assez d'empire sur l'accablement où je suppose que vous êtes, pour que le chagrin ne vous domine point et n'abrége pas vos jours.

Je suis avec bien de l'estime

Votre fidèle ami,
Federic.

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AU LIEUTENANT DE KALCKSTEIN.392-a

Magdebourg, 13 juin 1747.

Pour répondre à votre lettre du 8 de ce mois, je vous dirai que, si j'ai encore quelque égard pour vous, ce n'est pas à cause de vous, qui vous en êtes rendu indigne par votre action très-étourdie, mais par considération pour votre digne et brave père. Cependant je trouve bon de vous placer au régiment de Flanss; c'est pourquoi vous devez vous y rendre, sans passer par Berlin ou ses environs, et sans vous y faire voir. Au reste, le malheur dont vous êtes cause vous pourra servir de remède et de correction de votre fougueux tempérament, que vous devez brider et soumettre à la raison, pour ne jamais retomber dans des fautes si condamnables, qui m'obligeraient de vous abandonner sans considération à la rigueur de la justice. Surtout vous devez reconnaître votre tort, sans chercher à l'excuser aucunement; car un pécheur qui veut s'exculper s'attire une double punition, et rend son émendation fort suspecte. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

Federic.

2. AU FELD-MARÉCHAL DE KALCKSTEIN.

Camp de Prossnitz, 21 juin 1758.



Mon cher maréchal,

Une suite de fatalités qui me poursuit depuis quelques années vient de m'enlever un frère que j'ai tendrement aimé, malgré les chagrins<393> qu'il m'a causés.393-a Sa mort m'impose le triste devoir d'avoir soin de ses enfants et de leur tenir lieu de père. Mon éloignement, et les grandes affaires dont je suis chargé, m'empêchent de vaquer à leur éducation; mais je vous conjure, par le fidèle attachement que vous avez toujours eu pour mon père et pour l'État, et par l'amitié que vous avez eue pour le défunt, et que je me flatte que vous avez pour moi, d'avoir l'œil sur l'éducation de ces pauvres enfants. Vous savez de quelle conséquence il est pour quelques millions d'âmes qu'ils soient bien élevés, avec des principes d'honnêtes gens et des sentiments conformes à notre gouvernement. Quoique votre santé soit faible, j'espère, mon cher maréchal, que, en bon patriote, vous voudrez, dans mon absence, accomplir mes devoirs. Cela ajoutera une obligation éternelle à tant d'autres obligations que je vous ai, et augmentera encore la haute estime et la reconnaissance avec laquelle je suis,



Mon cher maréchal,

Votre fidèle ami,
Federic.


391-a Le fîls du feld-maréchal avait tué un tambour dans un accès de colère.

392-a Louis-Charles de Kalckstein, qui fut élevé au grade de feld-maréchal le 20 mai 1798.

393-a Voyez, t. IV, p. 150-154, et 252.