113. AU MÊME.

Wischau. 5 avril 1742.

Peut-être mes observations sur votre état sont-elles aussi peu certaines que celles de ces astronomes qui se disputent entre eux sur l'existence, la forme, le temps et la figure de cette comète qui a fait tant de bruit à Vienne, et qui a tant fait prophétiser de fous. Ayant appris de vous le grand art de douter, vous ne devez pas trouver mauvais que j'en étende les branches jusqu'à votre maladie, d'autant plus que votre santé m'est chère, et mérite bien mes attentions.

Au dieu réservé du mystère
Je recommande votre affaire, Non pas à ce dieu charlatan,
Cet empirique d'Épidaure
<189>Qui, par son baume et son onguent,
Augmente, embellit et décore,
Des gens que son poison dévore,
La cour de messire Satan.

Je vous recommanderais bien encore au dieu de l'amour et des plaisirs, si je ne craignais pour vous les flèches empoisonnées dont ce petit traître ailé se sert quelquefois.

Si l'on vous voit estropié,
Ce ne fut point à cette guerre
Que l'orgueil et l'inimitié
Se font en embrasant la terre.
Mais sur l'amour voyez vos droits;
Vous le servîtes sans subsides,
Il vous doit donc, pour vos exploits,
Placer parmi ses invalides.

Je compte bien de vous y voir un jour, en vous félicitant sur la bonté de votre établissement et sur l'agrément du voisinage, car je crois que Césarion vous y tiendra bonne compagnie, et que ce qu'on appelle gens aimables dans le monde ne tarderont pas à vous suivre.

Je suis à présent à Wischau, d'où je marche en Bohême par des raisons qui m'ennuieraient à vous déduire. Je compte d'être le 20 de ce mois au plus tard, avec toute l'armée, à quelques milles de Prague. Vous comprenez bien que c'est pour défendre cette capitale de la Bohême contre les Autrichiens, et pour soutenir la faiblesse des Français, qui ne sauraient la défendre.

Voilà un raisonnement militaire qui vous vaut une prise de quinquina, ou dont vous vous embarrassez très-peu. Adieu, cher Jordan. Écrivez-moi souvent, beaucoup de détails, et de tous les riens que vous pouvez apprendre barbouillez vos cahiers.

Je suis votre fidèle ami et admirateur.