23. DU MÊME.

Berlin, 17 décembre 1740.



Sire,

Le manifeste enfin paraît; tout le monde est surpris de sa brièveté. On attendait et on voulait une déduction ample et circonstanciée; et au lieu de cela, on reçoit un compliment fait aux puissances, que l'on croit fort alarmées. On épluche cette déclaration, comme un théologien prêchant un texte de l'Écriture. Chacun l'explique à sa manière : l'un prétend y trouver une frappante clarté, l'autre, au contraire, y croit voir une obscurité affectée et politique.

Le peuple prétend ici que le grand-duc de Lorraine a été incognito à Rheinsberg.

Un mot de M. de Beauvau m'a surpris. On parlait des circonstances présentes. Le marquis, d'un air de réserve, me dit : « Je ne sais qui a fait naître au Roi l'idée de la démarche présente, mais je<83> crois qu'il ne fait pas tant mal. » Personne n'entendra mieux le sens de ces paroles que V. M.

Une nouvelle qui m'a paru originale, et qui est assez répandue : l'électeur de Saxe a de cuisants remords de conscience de son changement de religion. Il ne sait comment obtenir cette tranquillité d'âme que lui donnait autrefois le luthéranisme. Ce n'est point au pape auquel il s'adresse pour lever ses scrupules, mais c'est au roi de Prusse qu'il ouvre son cœur pour raffermir sa foi chancelante et pour donner à son Credo la consistance nécessaire. O tempora!

Une chose est sûre, c'est que tout Paris est plein du changement de religion de V. M.; les lettres écrites à Berlin en sont pleines. Cette nouvelle me fait naître une idée, que les théologiens ne veulent point que le ciel perde. Puisqu'un roi se prive par son abjuration de ses droits, l'autre les revendique par sa repentance.

J'ai l'avantage d'être avec un respect profond et un parfait dévouement, etc.