<43> que l'est le génie de Voltaire à celui de Boileau, ou celui de Newton à celui de Des Cartes. Vos Institutions physiques séduisent, et c'est beaucoup pour un livre de métaphysique. S'il m'est permis de vous dire mon sentiment sans déguisement, je crois qu'il y a quelques chapitres où vous pourriez resserrer le raisonnement sans l'affaiblir, et principalement celui de l'étendue, qui m'a paru tant soit peu diffus. Vous me ferez d'ailleurs plaisir et honneur de m'envoyer tout l'ouvrage achevé. On ne saurait assez vous encourager dans ce goût si rare que vous avez pour les sciences. J'espère que la facilité avec laquelle vous y faites des progrès si merveilleux encouragera les dames à vous suivre, et qu'elles renonceront enfin à ce misérable goût pour le jeu qui les avilit, et qui assurément ne peut que les rendre méprisables.

J'ai connu par la correspondance de M. de Voltaire qu'il était ami tolérant; et que serait l'amitié sans indulgence et sans politesse? La haine exerce un pouvoir tyrannique sur les esprits, elle fait des esclaves; mais l'amitié veut que tout soit libre comme elle. Il lui faut le cœur, mais elle est indifférente sur les opinions et les sentiments de l'esprit. Si l'on considère, d'ailleurs, ce que c'est que les opinions et les sectes, on verra que ce sont des points de vue différents d'un même objet aperçu par des yeux presbytes ou myopes; ce sont des combinaisons de raisonnements qu'une bagatelle souvent fait naître, et qu'un rien détruit; ce sont des saillies de notre imagination plus ou moins vive, plus ou moins bridée. C'est donc le dernier excès de la déraison que de renoncer à l'amitié d'une personne parce qu'elle avait cru que le soleil tourne autour du inonde, et qu'elle est persuadée à présent que c'est le monde qui tourne autour du soleil. Je pense que, lorsqu'on aime véritablement, l'amitié ne doit point être altérée par la maladie de l'ami : qu'il ait la petite vérole ou qu'il soit hypocondre, cela n'y changera rien, d'autant plus que le nœud de l'amitié n'est ni la santé du corps, ni la force du raisonnement.