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23. DE M. DE SUHM.

Dresde, 6 août 1736.



Monseigneur

La très-gracieuse lettre dont Votre Altesse Royale m'a honoré, et par laquelle elle me marquait son départ pour la Prusse, m'ayant fait suspendre l'envoi des cahiers de ma traduction, j'ai profité de cet intervalle pour parcourir ce pays, afin de renouveler quelques anciennes connaissances. Qu'il est triste, monseigneur, à un certain âge, d'être réduit à chercher un établissement! Mais notre philosophe m'apprenant que tout ce qui arrive a sa raison suffisante, et que je ne dois être surpris de rien, je me résigne, en prenant le meilleur parti qui me reste à prendre, c'est-à-dire, de me conduire de façon à n'avoir jamais rien à me reprocher. J'ai connu un grand joueur de trictrac qui, après les coups les plus piquants et les plus capables de désespérer, avait coutume de dire avec le plus grand sang-froid du monde : « Que voulez-vous? cela est dans les dés. » Effectivement, a-t-on jamais raison de prendre si fort à cœur ce qui ne dépend pas de nous, ou de désirer si fortement ce qu'on ne saurait trouver en soi-même?

Si je ne savais bien que j'écris au Marc-Antonin de nos jours, je ne penserais pas à l'entretenir si longtemps de moi, aimant bien mieux l'entretenir de lui-même. Mais quelque plaisir que j'y trouve, monseigneur, il faut bien y renoncer, puisque votre modestie semble n'y trouver que des raisons de vous humilier davantage.

J'ai l'honneur de vous envoyer aujourd'hui une continuation de Wolff, espérant que cette lettre arrivera vers le retour de V. A. R., et désirant ardemment que ce paquet la trouve en parfaite santé.

Je suis, etc.