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16. AU MÊME.

Ruppin, 23 septembre 1732.



Mon très-cher général,

Votre lettre n'a pas manqué de me faire le plaisir que me font ordinairement toutes celles qui viennent de votre part; mais je vous avoue, mon cher général, que ce qui regarde votre raisonnement touchant l'entrevue de Rühstädt (quoique tout ce que vous dites se trouve fort juste) ne m'a pas plu infiniment, car j'aime beaucoup à faire tout ce qui me peut réjouir; et comme j'aurais été bien aise de vous revoir et de profiter de votre agréable compagnie, cela m'a fait beaucoup de peine d'être obligé d'en rester là, quoique je ne désespère pas entièrement de vous revoir un jour.

Le comte de Seckendorff a passé ces jours par ici. Je l'ai régalé de mon mieux, et j'ai fait tout ce que j'ai pu pour lui donner le goût à repasser ici à son retour. Messieurs nos aigrefins ont dit mille sottises qui l'ont bien fait rire. Pour moi, qui suis fait à cela, je ne m'en émeus non plus que de voir tous les jours monter et descendre la garde. Il m'a dit que la cour était fort solitaire, et qu'il y aurait certainement une indigence de flux de bouche et une grande profusion de vin. Je ne sais aucun meilleur remède à ceci que de faire revenir le gros comte de la Barbarie prussienne, où il s'est confiné.

Nous avons eu ici, il y a quelques jours, une bande de comédiens qui nous ont donné le plus superbe spectacle que l'on ait vu depuis mémoire d'homme dans notre ville. Imaginez-vous donc, monsieur, que mardi passé, comme le 16 de ce mois, nous fûmes à la maison de ville, où se présenta pour le premier aspect un théâtre de magnifique structure. L'amphithéâtre était composé de quelques poutres entassées par un heureux hasard les unes sur les autres, et qui, selon toutes les apparences, attendaient le moment que la pourriture et les