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6. AU MÊME.

Ruppin, 6 juillet 1735.



Mon cher Camas,

Les grâces du Roi et ma promotion a ne m'ont point causé une aussi sensible joie que votre lettre, étant plus sensible aux amitiés de mes amis qu'aux grandeurs de ce monde. Si par ma nouvelle charge je me voyais à portée de vous rendre service, je croirais que le service du Roi et ma propre inclination m'y porteraient. Mais, général-major tout nouveau sevré, il ne me conviendrait pas encore de me donner des airs de protection. Attendez donc, mon cher, qu'en cette campagne je verse assez de sang français pour m'acquérir le crédit de pouvoir parler avec vous. Mais je crains qu'au lieu d'être fort sanguinaire, mes travaux se borneront à vous faire avoir quelques Français qui embelliront votre compagnie, faisant ici, sur la terre, l'office que le Saint-Esprit fait au ciel; vous comprenez que je parle de son intercession auprès de Dieu. Je crois que la campagne entière ne donnera pas tant de peine au prince Eugène que j'en ai eu à obtenir la permission de la faire. L'on voit que la persévérance vient à bout de tout. Quelle joie n'aurai-je pas quand je pourrai vous écrire du camp de N.! Il me semble que mes lettres auront un double prix, et une petite odeur de poudre à canon qui y sera attachée leur donnera un air tout à fait martial. En cas que je ne parte point d'abord, vous aurez encore de mes lettres paisibles et tranquilles; mais soit l'un, ou l'autre, vous y trouverez toujours également des marques de mon amitié et de ma parfaite estime.

Frederic.


a Frédéric avait été élevé au grade de général-major le 29 juin 1735. Voyez ci-dessus, p. 52.