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48. AU MÊME.

A la garnison chérie, 10 mai 1733.

Je crois à présent, généreux Cassubien, que je sais faire plus de miracles que l'abbé Pâris,a étant cause de la première production de votre muse. Vous vous acquittez si bien de tout ce que vous faites, que les vers, aussi bien que toute autre chose, sont obligés de se ranger sous vos lois.

Ce n'est pas tant à la rime
Qu'à la chose qu'elle exprime
De laquelle on doit juger;
Et, pourvu que le sublime
Partout la diction anime,
L'on devrait s'en contenter.
Car, quand la vérité prime,
Nous lui devons notre estime,
Et savons la préférer
Au brillant que nous impriment
Tous les grands mots que la lime
Artistement sait ranger.
Cher ami, ton cœur sincère
Est digne qu'on le préfère
Aux vers et à la sanction;
Et, crois-moi, avec passion
Je t'aime et je te considère.

Vous voyez, cher Cassubien, que je vous rends vos strophes avec usure, et que ma muse, prompte à rimer, vole encore à mon secours quand il s'agit d'exprimer ce que le cœur pense. Vous ne seriez pas quitte à si bon marché, si le dieu Mars, ennemi des courtisans et des Muses, ne m'en interdisait l'entretien, et, que, occupé à son service, je suis, pour la plupart, obligé de négliger leur compagnie; car ces sages filles de Mémoire veulent du repos et une sécurité parfaite, que l'on ne trouve pas toujours.


a Voyez t. I, p. 241.