<157> gouvernements, tous n'auront qu'une existence précaire, et seront absorbés enfin dans le gouffre de ces puissances prépondérantes. Les souverains qui naturellement devaient prendre parti dans cette guerre sont tous demeurés isolés ou neutres; aucun d'eux n'a pensé à cette devise des Hollandais, à ce faisceau de flèches : Ma force consiste dans mon union. Leur sécurité me paraît trompeuse; ils pensent jouir de la paix à titre de bénéfice, et il semble qu'ils se contentent que, s'il faut périr, ils auront l'avantage que leur chute sera la dernière.

Tout se répète, monsieur; Salomon avait raison de dire que le soleil n'éclaire rien de nouveau sur la terre. Les mêmes scènes reparaissent, il n'y a que le nom des acteurs de changé. La ligue des puissants monarques qui menace l'Europe est absolument semblable au triumvirat d'Auguste, d'Antoine et de Lépide; les uns et les autres ont commencé par se sacrifier leurs plus anciens amis. Les uns proscrivirent des sénateurs, les autres proscrivent des souverains. Les triumvirs, après avoir vaincu Brutus, ayant anéanti la liberté et la république, ne trouvant plus d'intérêts dont le lien pouvait les unir, tournèrent leurs armes contre eux-mêmes; Lépide devint leur première victime, et le plus fourbe des trois, qui se trouva être Auguste, ayant écrasé ses collègues, finit par réunir en lui seul le pouvoir et la monarchie. Ce qui a été une révolution rapide chez les Romains se fera de nos jours avec plus de lenteur; l'ambition ne change pas d'allure. Si nos triumvirsa modernes sont heureux, ils auront les mêmes projets et le même sort que ceux de l'antiquité. Ma logique est fondée sur l'analogie et sur l'expérience; je souhaite pour le bien de l'humanité que mes conjectures se trouvent fausses; je ne suis pas prophète, ni ne veux l'être.

Vous connaîtrez par ces réflexions que cet or qui vous avait ébloui


a Frédéric désigne souvent ses ennemis politiques par le nom de triumvirs et de triumvirat. Voyez t. XII, p. 100, 103, 137 et 161; voyez aussi les lettres du Roi à Voltaire, du 16 janvier 1758 et du 18 mai 1759, et sa lettre au marquis d'Argens, du 19 février 1760.