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ÉPITRE A CÉSARION.102-16

De ma bavarde poésie
Ne vous lasserez-vous jamais?
Et des camps de la Silésie,
N'attendrez-vous de moi que nouvelles de paix?
Lorsque Mars m'étourdit au son de sa fanfare,
Et que tout ici se prépare
A vider par le fer des illustres procès,
Ma cervelle est assez bizarre
Pour barbouiller ces vers aussi fous que mauvais.
Mais puisqu'enfin de ma folie
Césarion se dit l'aimable protecteur,
Qu'il veut m'ériger en auteur,
Son attente sera punie :
Au lieu de ces beaux vers parfumés d'ambroisie,
D'une détestable liqueur
Je ne vous offre que la lie;
Et, poétique gazetier,
Des nouvelles de ce quartier,
Dans un pompeux amas d'inutiles paroles,
Je veux vous faire ici quelques contes frivoles.
<103>Apprenez donc que nos Césars,
Désœuvrés dans ces champs de Mars,
Ne font que rire, aimer et boire;
Tandis que nos plaisants hussards,
En préludant sur la victoire,
Prennent Mercure pour la Gloire.
S'ils se trompent si lourdement,
C'est qu'ils ne sont pas trop savants,
Peu versés en mythologie,
Guère plus en théologie,
Confondant les biens et les gens.
Tandis qu'engraissés de pillage,
Chez nos rivaux ils font tapage,
Nous demandons de vous, digne suppôt des arts,
Qu'au terme de tous nos hasards,
Vous nous conduisiez vers ce temple
Où l'étranger surpris contemple
Toute la grandeur des Romains
Dans leurs plus florissants destins,
Dans cette salle orbiculaire,
La basilique et sanctuaire
Des voluptés et des plaisirs,
Où nous entendrons les soupirs
De la touchante Melpomène,
Où nous verrons tout le domaine
Et des Muses et d'Apollon.
Dans l'opéra ce dieu fera le violon,
Il daignera lui-même inspirer l'harmonie
Et soutenir la mélodie;
Du chant, des instruments il unira le son
Au charme d'une voix sonore;
<104>De plus, il daignera nous enrichir encore
En y joignant l'illusion
Que met la décoration
A la danse de Terpsichore.
Là, n'ayant plus chargés les bras
Des héroïques embarras
Qui me font grisonner la tête,
Oubliant le dieu des combats,
Nous pourrons célébrer la fête
De Cypris et du tendre Amour.
Les cœurs seront notre conquête,
Le cul d'Églé, notre tambour,
Et les Grâces seront de jour;
Les bouteilles seront nos armes,
Les myrtes seront nos lauriers,
Et les bacchantes nos gendarmes.
Les lits seront témoins de nos exploits guerriers;
De plus, la bahoute104-a et le masque
Pourront nous tenir lieu du casque;
De légers escarpins serviront de coursiers.
Dans ce nouveau palais104-17 de noble architecture,
Nous jouirons tous deux de la liberté pure,
Dans l'ivresse de l'amitié;
L'ambition, l'inimitié,
Seront les seuls péchés taxés contre nature;
Le culte ne s'adressera
Et notre encens ne fumera
Que sur les autels d'Épicure.
Tandis que je vous fais cette aimable peinture
<105>Des plaisirs dont nous jouirons,
Vous languissez dans les prisons
Du terrible dieu d'Épidaure.
A ses prêtres, vos assassins,
Par erreur nommés médecins,
Si vous voulez guérir encore,
Faites prendre tous les matins
Double portion d'ellébore;
Alors, quand le triste Orion
Sur nos champs dépouillés de la moisson nouvelle
Enverra par les vents et la neige et la grêle,
Vous verrez, cher Césarion,
Dans les murs de notre Ilion
De retour votre ami fidèle.


102-16 Faite en 1741. [Voyez t. X, p. 24, et ci-dessus, p. 36.]

104-17 Charlottenbourg. [Voyez t. VII, p. 40.]

104-a Voyez t. X, p. 199.